XIX. La giganta

Antaño, cuando la Naturaleza en su impulso pujante
diariamente concebía criaturas monstruosas,
yo hubiese querido vivir con una giganta joven,
igual que un gato voluptuoso a los pies de una reina.
Me hubiera gustado ver cómo florecía su cuerpo
junto a su alma y así libre crecer en terribles juegos;
y adivinar si su corazón incubaba sombrías llamas
en las tinieblas húmedas de sus ojos;
hubiese querido recorrer tan magníficas formas,
trepar por las vertientes de sus rotundas rodillas,
y también, en estío, cuando malsanos soles
la obligaban a tumbarse, cansada, en el campo,
me hubiese gustado dormirme apaciblemente a la sombra de sus senos,
dormir como una aldea tranquila al pie de una montaña.
La Géante
Du temps que la Nature en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux,
J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante,
Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux.
J'eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
Et grandir librement dans ses terribles jeux;
Deviner si son coeur couve une sombre flamme
Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux;
Parcourir à loisir ses magnifiques formes;
Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains,
Lasse, la font s'étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d'une montagne.
Charles Baudelaire
"Las flores del mal"
"Les fleurs du mal"
Ilustración de Luís Miguel López Soriano